Jeudi 19 mars 2020 à 20H15 au forum :
Jean François Grandidier et Jean Louis Perino présentent:
L’hiver passé nous avons traversé les Alpes à skis, de Trieste –mer Adriatique- à Nice, de janvier à avril. Un voyage de 3 mois et plus de 1000km à ski de randonnée, sans assistance …
Défialp, c’est l’histoire de 2 copains qui s’offrent cette belle traversée intégrale des Alpes à skis.
DEFIALP
Nice – 95 kilomètres.
L’apparition de ce panneau routier signe pour nous la fin du voyage et affiche également en quelque sorte le chemin parcouru.
Cette fois, la mer est proche !
Nous l’espérions depuis longtemps déjà mais c’est la première fois que nous en avons une confirmation aussi réelle et précise.
Depuis plus de 11 semaines, nous avançons, nous usons les semelles de nos skis mais aussi parfois de nos chaussures sur cet arc alpin que nous sommes en passe de traverser.
Le projet a mûri lentement, au fil des années passées à sillonner – skis aux pieds – les vallées, sommets et pentes des différents massifs alpins. A chaque raid, l’on découvrait un morceau de ces montagnes et à chaque fois, après quelques jours, nous replongions dans la réalité et le quotidien.
Et si…
Et si, un jour, au lieu de rentrer, le voyage continuait pour enchaîner tous ces sommets, massifs et vallées…pour s’arrêter à la fin, à la mer là où l’horizon s’ouvre ?
21 janvier 2019, Trieste – mer Adriatique, Italie.
Finalement, la température et le vent glacial nous dissuadent de nous baigner dans la mer Adriatique, point de départ de notre errance à travers les Alpes. Nous trempons prudemment quelques doigts dans cette eau bien froide, acte fondateur de la traversée en quelque sorte.
Nous avons pensé et voulu cette traversée de mer à mer et choisi de rejoindre les Alpes juliennes en Slovénie, en vélo.
Il fait froid, très froid. J’ai fait le choix de rouler en bottes de neige…mais j’ai malgré tout les pieds gelés.
En Slovénie, la météo et les conditions de neige ne nous permettent pas de gravir le Triglav, point culminant du pays.
Nous reprenons nos montures pour rejoindre l’Autriche et le massif du Grossglockner. Je me souviens encore de la stupeur du douanier autrichien en nous voyant arriver au poste frontière par une froide journée de janvier et découvrir notre projet !
Il nous faudra ainsi 3 jours pour rejoindre Heiligenblut, porte d’entrée du massif.
Les conditions météos sont catastrophiques. L’est des Alpes essuie une nouvelle tempête qui génère des énormes quantités de neige et des vents violents.
Dix jours en risque nivologique 4 !
Impossible d’aller en altitude…nous devons sans cesse réfléchir à des itinéraires de repli, éviter au maximum les pentes…Nous brassons la neige et avec nos sacs de 18 ou 20 kilos, nous avançons lentement, très lentement et au prix de gros efforts. Le moral s’en ressent et plonge au fond des chaussures…à ce rythme et dans ces conditions, nous n’y arriverons jamais !
Mais nous avançons, dans un relief noyé sous la neige, seul en montagne et chaque jour nous grignotons un morceau de cet arc alpin.
Nous avons fait le choix de traverser les vallées italiennes du Haut Adige puis de rejoindre l’Autriche au niveau du col du Brenner puis les Stubai et l’Oztal.
Début février, un anticyclone s’installe sur l’Europe et en altitude de belles conditions se mettent en place. Il y a beaucoup de vent et les températures sont glaciales. Enfin, nous progressons en respectant l’itinéraire prévu.
Oztal, Ortless, Bernina.
Nous enchaînons ces 3 massifs mythiques et nous octroyons au passage quelques beaux sommets et traversées.
A cette époque de l’année, au cœur de l’hiver, nous sommes seuls en montagne et passons des journées sans rencontrer âmes qui vivent. Les conditions sont rudes, austères. Le froid et le vent deviennent nos compagnons de voyage et le soir nous installons notre bivouac dans les refuges d’hiver. Certains offrent un certain confort avec des poëles à bois permettant de chauffer l’espace, la nuit sera donc confortable. Parfois, l’espace est spartiate sans possibilité de chauffage, la nuit sera longue à tenter de nous réchauffer sous les couvertures !
Sur ces hauts massifs glaciaires, nous flirtons entre 3500 et 4000 mètres. Le vent, quasi permanent, a décapé les crêtes et sommets et nous évaluons crampons aux pieds bien souvent.
Et puis de nouveau, la machine s’enraye. Les conditions météos se dégradent et le mauvais temps revient. Cet épisode tempétueux nous surprend au centre de la Suisse.
Les copains avec qui nous partageons ces étapes entre Tessin et Simplon se souviendront longtemps, je pense, de ces 12 heurs passées dans la tempête, au GPS et avec une arrivée de nuit au refuge !
Et puis, un jour de mi-mars, comme par surprise et sans vraiment s’en être rendu compte, l’horizon et les montagnes prennent un air connus et nous redeviennent « familières ». Nous sommes au sommet du Grand Paradis, à 4000m et presque dans notre « jardin ». Nous retrouvons autour de nous nos terrains de jeu habituels. Nous nous sentons un peu chez nous.
Dans quelques jours, nous passerons en Savoie, tout près de la maison.
Ce soir, c’est la fête au refuge du col de la Vanoise au dessus de Pralognan. Gérard, le gardien, prend soin de nous et les copains sont montés pour passer la soirée avec nous. Cela fait chaud au cœur !
Cela fait maintenant plus de 2 mois que nous sommes partis de la mer Adriatique. On se prend, de temps en temps, à entrevoir la fin du voyage.
La Vanoise et sa calotte glaciaire nous offrent une belle traversée et nous ouvrent les portes du sud. En effet, nous basculons ensuite, via la Maurienne et la vallée Etroite sur Briançon et les massifs des Alpes du sud.
Nous découvrons également le très faible enneigement de cet hiver 2019. A partir du Queyras, la traversée des Alpes va prendre une dimension randonnée pédestre…ce qui nous vaudra de beaux échauffements et frottements des pieds !
Nous nous inquiétons sur les conditions plus loin, dans le Mercantour et craignons vraiment un final sec en mode basket.
Mais la météo en décidera autrement !
Le mauvais temps et de grosses chutes de neige, accompagnés de retours d’est violents, nous rattrapent au col de Larche. En 2 jours, il tombe entre 60 et 80 centimètres de neige en altitude et l’on retrouve les gros brassages de neige fraiche où l’on n’avance pas…
Les prévisions météos à moyen terme sont très mauvaises et nous laissent peu de chance et d’espoir de traverser, en altitude, le Mercantour. Nous décidons de rejoindre la vallée de la Tinée et de terminer en vélo.
C’est ainsi qu’un jour de mi-avril, en fin d’après midi, nous découvrons ce panneau routier,
Nice – 95 kilomètres.
Cette fois, l’aventure arrive à son terme. Curieusement, c’est presque avec une certaine appréhension que l’on arrive sur la promenade des anglais et sur la plage ce 9 avril. C’est terminé !
Le voyage s’arrête ici, les pieds dans l’eau de la Méditerranée que nous rêvons, que nous espérons depuis 3 mois. Les vélos, les sacs, les skis sont posés sur la plage. Le tableau est étrange et incongru.
Ici, sur le sable, s’écrit le mot FIN.
Jean François Grandidier
Juin 2019